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EUGÈNE NYAMBAL «L’ÉMERGENCE DU CAMEROUN EN 2035 EST CONDAMNÉE À L’ÉCHEC »

Au vu des premiers résultats du DSCE, je suis sceptique quant à la capacité de notre pays à atteindre les objectifs fixés en termes de croissance et d’amélioration du revenu par habitant. Certes, quelques grands chantiers ont été lancés, mais  la situation économique du Cameroun demeure préoccupante. Le retour apparent de la prospérité est un mirage. Car la croissance économique au cours des trois dernières années se situe autour de 4,5% et pourrait atteindre 5,5% en 2018, ce qui est largement en dessous de la trajectoire de 7% retenue dans le DSCE pour réduire la pauvreté.[...]

Le Cameroun avait-il besoin de mettre en œuvre un programme d’émergence pour 2035 ?
Le Cameroun est riche. Cependant, les Camerounais sont pauvres et majoritairement jeunes. Ils ne rêvent plus et ne se projettent plus dans l’avenir. Car ils n’ont connu que la gouvernance festive du Renouveau, la crise économique, la précarité, le chômage et l’affaissement des valeurs qui fondent une société de progrès et de justice. A telle enseigne que les Camerounais ont un sentiment d’impuissance et de fatalité face à leur destin.
Notre pays a besoin d’une transformation politique, économique et sociale pour redonner espoir aux Camerounais et à la jeunesse en particulier. Selon les statistiques du gouvernement, entre 80 et 90% des Camerounais travaillent dans le secteur informel, notamment dans le monde rural et les activités tertiaires de survie telles que la vente à la sauvette, les moto-taxis ou la vente de cartes téléphoniques. Ces activités absorbent aussi bien les personnes peu qualifiées que celles exerçant un métier sans rapport avec leur formation. Comme en témoigne l’enquête sur l’emploi publiée en octobre 2011 par l’Institut national de la statistique, plus de la moitié des 8,85 millions de travailleurs camerounais auraient un revenu mensuel de l’emploi principal inférieur ou égal à 15 000 Fcfa et plus de la moitié des ménages vivent dans des logements en matériaux précaires. Quatre Camerounais sur dix vivent dans la pauvreté absolue. La pression sur les ressources sera plus forte dans les prochaines décennies. Car la population du Cameroun aura doublé en 2035 et sera majoritairement urbaine.
Mais cela n’explique toujours pas pourquoi il a fallu mettre sur pied un programme d’émergence…
Pour relever ces défis, après la réduction de la dette dans le cadre du Point d’achèvement, le gouvernement a proposé aux Camerounais un nouveau contrat social visant à faire de notre pays une nation émergente à l’horizon 2035. Ce faisant, le gouvernement a donné aux Camerounais trois  rendez-vous majeurs. La première phase concerne la modernisation de l’économie (2010-2019) avec la mise en place des infrastructures et la réduction de la pauvreté absolue de 40% en 2010 à 20-25% en 2015 à travers une croissance soutenue de 7% par an. La deuxième phase permettra d’atteindre le stade de pays à revenu intermédiaire (2020-2027) à l’instar du Botswana et de l’Ile-Maurice en augmentant  le revenu par tête des Camerounais de 983 dollars actuellement à une fourchette entre 3.706-11.455 dollars (valeur de 2007) grâce à une croissance autour de 10%. La dernière phase concerne le passage au stade de nouveau pays industrialisé et émergent (2028-2035) en portant la part de la production industrielle à 40% de la richesse créée annuellement par le Cameroun (Pib), le revenu par tête d’habitant à une valeur supérieure à 11445 dollars en 2035, la pauvreté absolue ne touchant plus qu’un Camerounais sur dix et l’espérance de vie passant de 50 ans actuellement à 71,5 ans en 2035.
Dans le cadre de la mise en place de la première phase, un certain nombre de grands projets d’infrastructure sont en cours d’exécution, en phase de démarrage ou au stade de recherche de financement. Il s’agit notamment d’infrastructures de production d’énergie, de transport, d’approvisionnement en eau, de routes et d’autoroutes, ainsi que d’équipements industriels et miniers.  
Pensez-vous qu’au rythme actuel de la croissance économique, le Cameroun est sur la voie de l’émergence en 2035 ?
Permettez-moi de rappeler que notre pays dispose des moyens nécessaires pour faire partie des pays les plus performants en Afrique, compte tenu de son énorme potentiel en ressources naturelles et humaines. Dans le passé, malgré l’autoritarisme de la Première république, les Camerounais ont montré qu’avec l’ambition, l’organisation et la discipline, ils pouvaient se mobiliser pour améliorer leurs conditions de vie. Les quatre premiers plans quinquennaux (1961-1980) ont permis de réduire la dépendance vis-à-vis de l’extérieur en remplaçant les importations par la production locale, d’asseoir les bases d’une auto-suffisance alimentaire et de doubler le revenu par habitant en 20 ans. Cet édifice s’est effondré avec la crise économique et financière, la suspension de la planification et l’avènement des Programmes d’ajustement structurel en 1986 ainsi que la gestion catastrophique de la dévaluation du Franc Cfa en 1994 avec pour corollaires une baisse des salaires des fonctionnaires de 70% et la suppression de la bourse pour les étudiants. Ces erreurs ont jeté les bases d’une société anomique, improductive, guidée par l’improvisation, gangrenée par la corruption, le chômage de masse et les replis identitaires.
Au vu des premiers résultats du DSCE, je suis sceptique quant à la capacité de notre pays à atteindre les objectifs fixés en termes de croissance et d’amélioration du revenu par habitant. Certes, quelques grands chantiers ont été lancés, mais  la situation économique du Cameroun demeure préoccupante. Le retour apparent de la prospérité est un mirage. Car la croissance économique au cours des trois dernières années se situe autour de 4,5% et pourrait atteindre 5,5% en 2018, ce qui est largement en dessous de la trajectoire de 7% retenue dans le DSCE pour réduire la pauvreté. Le plus inquiétant, c’est que cette croissance n’est ni inclusive ni soutenable. Elle repose, non sur les efforts et l’organisation de la société en vue de créer la prospérité, mais sur des crédits publics peu créateurs d’emplois et les aléas de la production pétrolière.
Qu’est-ce qui explique selon vous une telle situation ? 
Le faible niveau de croissance économique s’explique par un certain nombre de facteurs structurels, notamment la mauvaise gouvernance, un climat des affaires hostile au développement du secteur privé productif ainsi que des déficiences chroniques au niveau des facteurs de production (électricité, transports, eau, télécommunications, port, main d’œuvre qualifiée, etc.). Notre pays est également victime d’une culture bureaucratique qui amène les dirigeants à multiplier les emplois de manière désordonnée dans la fonction publique en oubliant que c’est le secteur privé qui est le moteur de la création d’emplois. La mauvaise gestion de la masse salariale de la fonction publique et des pensions de retraite ainsi que l’absence de stratégie en matière d’endettement de l’Etat constituent des bombes à retardement. En clair, si on ne change pas le système actuel, nos fonctionnaires et nos soldats risquent de ne pas avoir de pension de retraite, sauf à couper les dépenses dans les autres secteurs. Cette perspective catastrophique deviendrait inéluctable avec la ratification des accords de Partenariat économique (Ape) avec l’Union européenne, compte tenu de l’absence de compétitivité des entreprises camerounaises et des pertes colossales en termes de recettes pour le budget de l’Etat. Ces accords sont incompatibles avec l’émergence du Cameroun.
Quid du niveau et surtout de la qualité de l’investissement ? N’y a-t-il rien à corriger à ce niveau si on veut atteindre les objectifs fixés par le Dsce?
Au niveau de l’investissement public, le budget de la nation n’est pas utilisé pour structurer l’économie, stimuler la croissance et réduire la pauvreté. Sur un budget de 3236 milliards Fcfa pour l’année 2013, 60,72% de l'enveloppe était consacrée aux dépenses de fonctionnement, 29,57% à l'investissement et 9,70% au règlement de la dette. Dans le système actuel, les commandes de l’Etat créent davantage des emplois à l’étranger qu’au Cameroun en raison d’une tendance à attribuer les marchés publics aux « entrepreneurs saisonniers» important les biens et services d’Europe, de Dubaï ou de la  Chine au détriment des structures de production basées au Cameroun. Le budget d’investissement dont le but est de créer un cadre favorable pour soutenir le secteur productif et améliorer le cadre de vie enregistre des niveaux d’exécution extrêmement faibles. Ce faisant, le gouvernement a favorisé l’émergence d’une économie parasitaire et une culture de jouissance autour des marchés publics.
A cela s’ajoute une tendance pernicieuse apparue avec les privatisations et renforcée par les projets structurants en cours d’exécution, c’est l’exclusion des entreprises et de la main d’œuvre camerounaise dans la mise en œuvre des projets de modernisation du pays. Les Camerounais n’occupent que des emplois peu qualifiés dans les grands projets d’infrastructure tels que le port en eau profonde de Kribi, le barrage de Lom Pangar, la centrale hydro-électrique de Memve’ele, la fibre optique, les travaux d’adduction d’eau, la distribution d’électricité, les logements sociaux. Cette carence reflète une absence de stratégie visant à renforcer les ressources humaines et favoriser l’émergence de capitaines d’industrie camerounais. Par conséquent, l’effet multiplicateur de l’investissement public est limité ainsi que son impact sur l’amélioration des conditions de vie des camerounais.  
Vous parlez là d’investissement public, qu’en est-il d’investissement privé et extérieur ? 
En ce qui concerne l’investissement privé, il demeure insuffisant pour soutenir la croissance pour de multiples raisons. Au niveau des sources de financement internes, lorsque le secteur financier ne fonctionne pas de manière efficiente, la croissance est impossible. L’accès au crédit reste limité compte tenu de la faible diversification du secteur financier, de la productivité insuffisante des Pme-Pmi et des microentreprises et de l’insécurité juridique et judiciaire. Selon le Fmi, le crédit des banques camerounaises au secteur privé était de 8,5% du Pib en 2013 et pourrait attendre 9,4% en 2018 alors que dans les pays connaissant une croissance économique compatible avec l’émergence (plus de 8% par an), le crédit au secteur privé est autour de 17-20%. En outre, le niveau de réinvestissement des profits par les filiales des multinationales opérant au Cameroun reste faible.
Au niveau du financement externe, le Cameroun est peu attractif pour l’investissement direct étranger comme l’atteste le classement de «Transparency international» sur la bonne gouvernance et l’index «Doing Business» de la Banque mondiale. Sur ce dernier relatif au climat des affaires, le Cameroun est 168e sur 189 pays. Les investissements directs étrangers restent faibles par rapport aux pays de taille comparable. Les ressources de la diaspora représentent la dernière source de financement externe. Nous devons comprendre que le plus important c’est d’augmenter la taille du gâteau et non se battre entre nous pour partager la misère. Par conséquent, le Cameroun devrait s’organiser à l’instar des pays comme la Chine ou l’Ethiopie afin de mieux tirer profit des ressources financières et du savoir-faire de sa diaspora.
En Afrique centrale, certains pays sont également engagés dans la voie de l’émergence. Quel regard jetez-vous sur la Guinée équatoriale dont le programme est fixé à l’horizon 2020 ?
Ce pays fait des progrès remarquables. Il y a une volonté politique d’aller de l’avant. Le pays est en train de se doter d’infrastructures modernes. Si la deuxième phase visant à renforcer les capacités et diversifier l’économie est mise en œuvre de manière intelligente et ciblée, la Guinée Equatoriale pourrait devenir le centre névralgique de l’Afrique centrale dans les prochaines décennies.
En attendant d’autres pays tels Maurice, ou le Botswana suscitent l’admiration par des progrès économiques réalisés en quelques années…
Ce sont de vrais exemples de réussite en Afrique. Le Botswana suscite l’admiration du monde entier par sa capacité à utiliser les ressources du diamant pour diversifier l’économie et améliorer les conditions de vie de la population. L’Ile-Maurice met en évidence l’énorme potentiel du bilinguisme pour se positionner comme une passerelle entre le monde francophone et anglophone, notamment dans les Ntic. En matière de politique d’industrialisation, le Cameroun gagnerait à examiner les expériences tunisienne et mauricienne avant de signer les accords de libre-échange avec l’Union européenne. Ces deux pays ont mis en œuvre des politiques d’industrialisation favorisant l’émergence de capitaines d’industrie locaux et l’attraction des investissements étrangers autour de deux volets: d’une part, un minimum de protection du marché domestique tout en organisant un environnement favorable à l’investissement et une compétition vigoureuse entre les entreprises et d’autre part la promotion des industries exportatrices à travers une stratégie conquérante appuyée par indicateurs de performance clairs ainsi que des incitations idoines et la maîtrise du coûts des facteurs de production.
Le Rwanda est un autre exemple passionnant. Malgré le génocide de 1994, l’enclavement et des ressources limitées, les Rwandais ont repris confiance dans l’avenir en une décennie. Entre 2008 et 2012, la croissance économique était en moyenne de 8,2% par an tandis que le revenu par habitant a augmenté en moyenne de 5,1% par an. Selon la Banque mondiale et Transparency international, le Rwanda est l’un des pays africains les plus performants en matière de réformes et de bonne gouvernance, 90% des Rwandais sont couverts par une assurance maladie. L’administration a été informatisée à telle enseigne que l’on peut déclarer ses impôts par internet. Une charte des services publics a été élaborée avec des délais prévisibles pour la fourniture des services, des prix d’excellence pour les fonctionnaires et la possibilité pour les citoyens de donner leur avis sur la qualité des services à travers les media sociaux. La discipline et le sens civique sont perceptibles à Kigali à travers la propreté et le niveau élevé de sécurité de la ville. Ces changements sont intervenus en moins de deux décennies sous l’impulsion du président Kagame. Contrairement au Cameroun, on n’est pas passé de la vision au saupoudrage des ressources à travers des grands projets structurants sans liens concrets avec les secteurs prioritaires. Le Rwanda a d’abord défini dans la Vision 2020, ce qu’il voulait devenir, « le Singapour d’Afrique », leader régional des services à haute valeur ajoutée tels que : la finance, les Ntic, le commerce sous régional, le tourisme. Pour réaliser cet objectif, le Rwanda a adopté une démarche de changement holistique s’appuyant sur des politiques détaillées dans chaque domaine et la gestion rationnelle de l’aménagement du territoire. 
Depuis lors, la mise en œuvre opérationnelle est soutenue par une série de plans quinquennaux qui identifient les priorités et les objectifs à atteindre au niveau national et régional ainsi qu’un plan de financement décliné en une programmation budgétaire triennale exécutée sur une base annuelle. En clair, l’ensemble de la politique du gouvernement vise à réaliser les objectifs de croissance retenus, créer plus de 200.000 emplois par an et réduire la pauvreté. Dans cette optique, le plan quinquennal a défini des thématiques claires et des indicateurs de performance pour transformer l’économie et améliorer sa compétitivité externe, accélérer le développement rural, améliorer la productivité et l’emploi des jeunes et rendre l’administration plus compétitive. Les projets structurants et les politiques publiques découlent de cette approche. La nouvelle politique d’éducation a pour objectifs de fournir à l’économie la main d’œuvre nécessaire pour soutenir la croissance, celle des infrastructures vise à soutenir les piliers stratégiques, celle de la santé vise à renforcer le capital humain et réduire la précarité, etc. Au niveau institutionnel, le secteur privé est impliqué au plus haut niveau dans la mise en oeuvre de la stratégie et la feuille de route est claire pour l’ensemble du gouvernement. Il  y a une stratégie de développement clairement définie pour chaque région. Chaque administration agit dans le cadre ainsi établi. Les critères d’évaluation sont clairs. En ce qui concerne les projets et thématiques impliquant plusieurs administrations, la coordination est confiée à un Ministère et la présidence n’intervient qu’en dernier pour donner l’impulsion ou faire les arbitrages nécessaires.
Comme en Malaisie, les dirigeants Rwandais jouent un rôle majeur dans la propagation de l’idéologie de développement. Ces dirigeants sont jeunes et utilisent les différents outils de communication (radio, télévision, réseaux sociaux, presses, internet…) pour diffuser la Vision 2020 au sein de la société, y compris en langue locale. Ces campagnes constituent ainsi une source d’inspiration pour les aspirations de la jeunesse en termes d’orientation scolaire et de carrière professionnelle. Les jeunes peuvent ainsi visualiser clairement et se faire une bonne idée sur la trajectoire de l’émergence.
Quels sont à votre avis les ingrédients que ces pays ont associés pour aboutir à ces résultats ?
La qualité du leadership est indispensable pour passer de la pauvreté de masse au statut de pays émergent. Telle est la principale leçon que nous pouvons tirer de l’expérience de la Malaisie, de Singapour ou plus près de nous du Rwanda. Ces pays ont en commun des dirigeants qui se considèrent comme des agents du changement. Ils sont obsédés par la transformation et la modernisation de leur pays pour éradiquer la pauvreté. Ils sont avant tout des agents du changement capables d’articuler les quatre ingrédients suivants :
En premier, ces leaders  ont la capacité de cerner les défis auxquels son confrontés leur pays (pauvreté, chômage, corruption, fatalisme, tensions ethniques, etc.) et s’inscrivent contre la fatalité du statut-quo pour proposer des solutions innovatrices. Ensuite, ces leaders articulent une vision et une ambition nationale visant à transformer la société, diffuser des valeurs positives (progrès, méritocratie, émulation, etc)  et créer dans l’esprit de leurs concitoyens la nécessité et l’urgence du changement. En troisième lieu, ces leaders s’appuient sur des stratégies intermédiaires pour identifier les priorités et les projets phares susceptibles de mobiliser la population pour un venir meilleur. Ils s’entourent également d’une équipe crédible, partageant un idéal commun et établissent des relais, des coalitions et des mécanismes de concertation avec d’autres forces (partis politiques, société civile, le secteur privé, universités, etc.) pour créer un consensus dans la mise en œuvre de l’ambition nationale. Enfin, ces leaders mettent en place une stratégie de communication pour favoriser l’appropriation de l’Ambition nationale par tous les segments de la société à travers les medias, les écoles, les forums ainsi que la mobilisation des associations menant des activités de proximité sur le terrain.
La Malaisie est la meilleure illustration de mon propos sur le leadership du changement. C’est un pays multi-ethnique comme le Cameroun disposant du même type de ressources naturelles (huile de palme, hévéa, bois, pétrole, etc.) qui est passé au stade de pays industrialisé en quelques décennies. Aussi pauvre que le Cameroun dans les années 1960-70, la Malaisie a mieux utilisé ses ressources pour diversifier l’économie. Ce pays fabrique les équipements électroniques, les climatiseurs, le textile, l’acier, les voitures, les produits chimiques et pharmaceutiques, etc. Il a également racheté de nombreuses entreprises en Afrique dans le cadre des privatisations et intervient dans l’exploration pétrolière sur le Continent. Pendant plus de 25 ans, ce pays a connu un taux de croissance de plus de 7% par. En 2013, le PIB de la Malaisie était de 312,5 milliards de dollars, le revenu par habitant de 10.500 dollars contre 960 dollars pour les camerounais. Le niveau de pauvreté est tombé de plus de 50% dans les années 1960 à moins de 2% en 2013.
Cette performance est le fruit de l’ambition, de l’organisation et de la discipline des Malaisiens sous l’égide du Premier Ministre, le Docteur Mohamad Mahathir qui s’est retiré du pouvoir en 2003. Arrivé au pouvoir en 1981, le Docteur Mahathir avait pour ambition de réduire les tensions ethniques dans une société dominée par la minorité d’origine Chinoise et mettre en place une société prospère, économiquement équitable et ouverte s’appuyant sur l’innovation, la maîtrise de la technologie, une forte productivité, une conscience professionnelle élevée et la recherche permanente de l’excellence en vue de réduire la pauvreté et permettre l’émergence d’une classe moyenne large et entreprenante.
Après avoir utilisé les privatisations pour faire émerger des capitaines d’industries nationaux susceptibles de servir de modèles pour la population, le Dr. Mahathir lança la « Vision Malaisie 2020 » en 1991. L’objectif poursuivi était de rattraper le niveau de vie des pays industrialisés, en faisant de la Malaisie un pays pleinement développé sur le plan économique, social et culturel.
La mise en œuvre de la Vision 2020 fut soutenue par une série de plans de développement quinquennaux s’appuyant eux-mêmes sur des plans stratégiques de 10 ans définissant les secteurs prioritaires dans le but de faire de la Malaisie, le principal centre technologique, industriel et des services d’Asie du Sus Est. En concertation avec le secteur privé, l’Etat central était chargé de créer un cadre général d’incitations en vue de mettre en œuvre la Vision 2020. Dans le cadre de la décentralisation, chaque Etat élaborait à son tour un plan stratégique pour soutenir la vision nationale. Il s’agissait d’une planification globale visant à aligner les politiques et les institutions sur les objectifs des plans quinquennaux à travers la mise en place d’un environnement politique et économique stable, une politique industrielle et technologique volontariste, des infrastructures de qualité, un taux d’épargne et des investissements étrangers élevés, une administration de qualité, une main d’œuvre bien formée et un système d’incitations idoine. C’est dans ce cadre que la Malaisie a mis en œuvre des projets structurants tels que le développement de l’industrie automobile ou la construction du « Silicon Valley d’Asie à Penang » qui abrite les plus grandes compagnies des compagnies de technologie de l’information de renommée internationale.
Diffusée dans l’ensemble de la population à travers les medias, les écoles, les associations et d’autres types d’organisations, la Vision 2020 sert de boussole à l’ensemble des acteurs socio-économiques. Le Gouvernement fournit aux citoyens la capacité de mieux appréhender les enjeux de développement de son pays. Ce qui donne aux jeunes Malaisiens le sentiment d’avoir rendez-vous avec l’avenir ainsi que l’envie de prendre la relève pour rattraper et dépasser les pays riches. C’est ainsi qu’en quelques décennies, la Malaisie a réussi à passer d’une société agraire à une société prospère, mieux équilibrée économiquement et culturellement.
Quelles sont les améliorations souhaitables pour améliorer le programme d’émergence du Cameroun ?
Dans sa récente adresse à la nation, le président de la république s’est interrogé à juste titre sur les facteurs de blocage de l’émergence en mettant en évidence l’absence de lisibilité et de cohérence de la Stratégie pour la croissance et l’emploi, la multitude des comités de suivi, la faible coordination dans la mise en œuvre des projets ainsi que les lourdeurs dans les prises de décision entraînant un faible taux d’exécution du budget d’investissement. Au point d’en conclure qu’au rythme actuel des efforts, notre pays pourrait difficilement atteindre l’émergence en 2035 et d’en appeler à la nécessité d’un programme d’urgence et de feuilles de route pour redresser la courbe de la croissance.  
Je dirais simplement que l’émergence est une idéologie de développement, un consensus national mobilisant toutes les énergies au service de cette cause et une démarche de gouvernance qui doit se traduire dans les actes quotidiens de l’ensemble des acteurs politiques, économiques et sociaux. Construire un barrage, une centrale à gaz, une route, un pont ou des hôpitaux de référence ne signifie pas forcement entrer dans l’émergence. Les Camerounais ont besoin de rêver, de se sentir impliqués et d’avoir le sentiment qu’ils peuvent avancer grâce à leurs efforts, à leurs talents et qu’ils ont rendez-vous avec un avenir meilleur pour eux et leurs familles.
A cet effet, le gouvernement vient d’adopter un plan d’urgence censée accélérer la marche vers l’émergence. Y croyez-vous ?
A mon humble avis, le programme d’émergence du Cameroun souffre de trois handicaps majeurs. En premier lieu, la démarche du Cameroun n’est pas aussi systématique que celle des autres pays poursuivant les objectifs de l’émergence. Le tableau de  bord qu’est le Dsce n’a pas de ligne directrice pour mobiliser la population. Il ne donne pas l’impression aux Camerounais d’être associés à un avenir radieux. Il n’y a aucun lien entre la stratégie globale et les stratégies sectorielles ou les plans d’actions des ministères. Sans de feuilles de route ni programmes pour guider leur travail au quotidien, les administrations sont livrées à la navigation à vue. En outre, il n’ya aucune répartition claire des responsabilités entre les ministères dans la mise en œuvre de l’émergence. Ceci rend la coordination difficile. Compte tenu des insuffisances dans la conception de l’émergence, le Cameroun s’est montré incapable de réorienter les interventions des bailleurs de fonds autour de ses priorités stratégiques. Par conséquent, l’émergence est financée essentiellement par l’endettement.
Bref, l’Emergence ressemble à un corps démembré. Dans la méthode, l’émergence rappelle l’improvisation et la folie des grandeurs ayant prévalu dans le lancement des Chantiers navals. En effet, le Cameroun a dilapidé des centaines de milliards dans une industrie à forte intensité capitalistique, donc peu créatrice d’emplois, sans s’assurer qu’il y avait un avantage comparatif par rapport aux autres nations, sans avoir de stratégie de maîtrise de la chaîne de valeur ou des segments qui soutiennent l’activité de réfection des navires et sans prévoir de formation aux métiers de base de ce secteur. Combien de Pme-Pmi aurait-on pu créer avec ces centaines de milliards?
Ne s’agit-il pas là d’une carence de vision politique ?
 
Il est impératif de revoir l’esprit, la stratégie et la cohérence de l’ensemble du dispositif institutionnel autour de l’émergence à partir des questions suivantes : quel est le positionnement du Cameroun par rapport à la sous-région ? Comment allons-nous devenir un pays émergent et quels sont les secteurs qui porteront la croissance et l’emploi ? En dehors des infrastructures, comment allons-nous réformer les autres secteurs (éducation, santé, gouvernance, secteur financier, décentralisation, administration et secteur privé, etc.) pour traduire l’émergence dans la réalité? Comment allons-nous amener la production industrielle à 40% du Pib et faire des politiques d’import-substitution tout en signant les Accords de partenariat économiques (Ape) avec l’Ue? Comment allons-nous faire passer l’espérance de vie de 50 à 71 ans sans une réforme profonde du secteur de la santé ? Comment pouvons-nous attendre des résultats sur un horizon de 30 ans sans les décliner en plans quinquennaux et politiques sectorielles servant de feuilles de route lisibles pour l’Etat et les acteurs socio-économiques? Comment pouvons-nous entrer en compétition avec les autres nations lorsque nos écoles et nos universités sont à l’abandon depuis des décennies ? Comment pouvons-nous mettre en œuvre une vision économique sans impliquer pleinement le patronat comme semble l’indiquer le plan de réformes en 100 propositions du Gicam? 
En second lieu, l’Etat camerounais n’est pas organisé pour promouvoir l’émergence. Il ya une totale déconnection entre les objectifs de l’émergence et la structuration du gouvernement. La plupart des Ministères n’ont pas de stratégie sectorielle pour contribuer à l’émergence. Car la formation du gouvernement répond davantage à la logique du partage qu’à celle du développement. Cette conception patrimoniale du pouvoir provient du verrouillage de l’alternance et de l’absence de clivages entre les élites sur des bases idéologiques ou de projets de société différents. Elle empêche l’éclosion d’un débat vigoureux  sur les politiques publiques. En réalité, le logiciel de gouvernance du Cameroun semble s’être arrêté dans les années 1960. A telle enseigne que notre pays projette de plus en plus l’image d’une gérontocratie marquée par l’immobilisme, une centralisation excessive du pouvoir, un gouvernement pléthorique et une administration incapable de fournir les services de base aux citoyens.
Compte tenu du mode de gouvernance, le dispositif institutionnel du pays est davantage orienté vers la préservation du statut-quo que vers la promotion des enjeux de l’émergence. Pour perpétuer l’onction du décret, les élites politiques, administratives et intellectuelles du Renouveau (ministres, fonctionnaires, préfets, sous- préfets, maires, professeurs d’université, etc.) mobilisent toutes les énergies et les ressources dans leurs régions respectives au service du parti-Etat et de la promotion d’un culte de la personnalité de type stalinien. Ce faisant, nos élites ont tout simplement troqué l’imagination, la créativité et les initiatives susceptibles de changer les conditions de vie des Camerounais contre les motions de soutien et l’organisation de festivités gargantuesques dans un pays dont les écoles et les hôpitaux sont dans un état de délabrement avancé. Cette gouvernance festive et récréative ne peut produire qu’une société bloquée, fataliste et anomique faisant l’apologie de l’improvisation, de l’imposture et d’une jouissance nihiliste au détriment des valeurs du mérite, du travail et de discipline qui sont indispensables à l’émergence.
Cela explique-t-il le manque de mobilisation des Camerounais autour de l’objectif commun de l’émergence ?   
C’est vrai, les Camerounais ne sont pas impliqués dans l’émergence. Le Cameroun est certes en mouvement avec le lancement des grands projets, mais les Camerounais ne savent à quelle branche se raccrocher pour faire de l’Emergence une réalité dans leur vie quotidienne. Car en plus du déficit de communication, les Camerounais sont peu impliqués dans la mise en ouvre des « grandes réalisations ». Par conséquent, ils sont  à tort ou à raison convaincus qu’il s’agit d’un slogan de plus inventé par le gouvernement. Comment peut-il en être autrement lorsque le seul horizon qui leur est offert est celui d’une meilleure organisation des moto-taxis, ce corps de métier qui reflète l’échec du gouvernement en matière d’organisation du transport urbain et d’insertion des jeunes dans la vie active?
Que faut-il faire selon vous, pour que le Cameroun accède à cette fameuse émergence ?
Compte tenu de l’expérience des deux premières républiques, permettez-moi d’esquisser quelques grandes lignes qui serviront de point d’ancrage de la Troisième république pour l’émergence. En premier lieu, il est important de remettre le bien-être des Camerounais au cœur de l’action publique pour changer la vie de nos compatriotes afin d’éviter aux jeunes de vouloir changer de vie à travers des voyages désespérés dans le désert et la mer. Pour ce faire, il est impérieux de restaurer les valeurs du mérite, du travail, de responsabilité et de discipline en vue de donner des opportunités à tous nos compatriotes sans distinction des origines sociales, ethniques ou linguistiques. En somme, nous devons restaurer l’ascenseur social et redonner aux Camerounais un rêve, celui d’améliorer leurs conditions de vie et refaire de leur pays l’une des forces motrices de l’Afrique centrale et de l’ouest.
En second lieu, il est nécessaire de réformer de manière radicale le dispositif institutionnel pour libérer le génie, l’initiative et traduire la diversité et l’unicité de notre pays dans la réalité quotidienne des Camerounais. Dans cette optique, la Constitution sera modifiée pour consacrer les valeurs fondatrices  de notre communauté de destin, les libertés fondamentales des citoyens, une nette séparation des pouvoirs avec le renforcement du législatif et du judiciaire, la limitation du mandat présidentiel à deux termes ainsi que la décentralisation avec des régions autonomes dirigées par des gouverneurs et des assemblées régionales élus. Le nombre de régions sera réduit pour créer des pôles de développement. Les régions anglophones, à l’instar des autres auront une autonomie pour organiser la vie politique, économique, sociale et culturelle locale en concertation avec le gouvernement central.
L’administration sera un pourvoyeur efficient des services publics et un vecteur de compétitivité. Pour ce faire, la fonction publique sera décentralisée et totalement informatisée. Les délais de traitement des dossiers et des paiements par le trésor seront connus d’avance du public. Des mécanismes d’évaluation par le public seront mis en place. Les entreprises publiques seront suivies avec la même célérité que les filiales d’une multinationale. Les nominations des hauts fonctionnaires par le chef de l’Etat seront soumises à la confirmation du Sénat pour jauger les qualités professionnelles et morales des candidats. Les fonctionnaires en fin de carrière ne seront plus obligés de préparer un dossier de retraite. Les pensions ne dépendront plus des recettes budgétaires de l’année en cours. Elles seront sécurisées par la mise en place de régimes autonomes de gestion des retraites. En contrepartie, les lois sur la protection de la fortune publique seront renforcées avec des peines cumulatives à l’américaine pouvant atteindre une centaine d’années et l’interdiction à vie d’exercer toute fonction publique ou élective. Les investigations seront basées sur un rapprochement entre les revenus et le patrimoine constitué, à charge pour l’accusé de justifier les écarts constatés. Enfin, les fonctionnaires auront interdiction d’utiliser les moyens de l’Etat pour promouvoir un parti politique ou cumuler des mandats électifs.
Le développement du capital social constitue le socle d’une société de progrès et de justice. Par conséquent, les retards accumulés au cours des trois dernières décennies dans le secteur de la santé et de l’éducation seront rattrapés. En matière de santé, notre société doit protéger et célébrer la vie, pas la mort. Il est incongru d’organiser la solidarité autour des funérailles et non de la préservation de la vie ou de négliger délibérément nos infrastructures hospitalières au profit des évacuations sanitaires pour une minorité de privilégiés. Un système de couverture médicale sera mis en place pour protéger les Camerounais les plus démunis. La formation du corps médical, le professionnalisme, le plateau technique, les mécanismes de financement et la qualité des soins seront également renforcés pour faire du Cameroun un pôle de référence en matière de santé en Afrique centrale.
L’éducation est au cœur du processus de création de richesses et de la compétitivité des nations. Par conséquent, la refonte du système éducatif visera à fournir au Cameroun les compétences indispensables au développement et à refaire de notre pays un pôle d’excellence en Afrique Centrale. Un accent particulier sera mis sur la capacité du monde éducatif à répondre aux défis de transformation socio-économique de notre pays. Par conséquent, le système des grandes écoles et des universités sera profondément réformé en vue de fournir à notre pays les élites capables de piloter les changements économiques et technologiques. Les recteurs d’université seront élus par leurs pairs. La méritocratie remplacera les « Motions de Soutien » pour l’avancement des enseignants et les bourses scolaires seront restaurées pour soutenir l’excellence. Les filières techniques et bilingues seront densifiées pour mieux répondre à la vocation et aux ambitions de développement du Cameroun. L’enseignement sera obligatoire et gratuite dans le primaire. Un service civique sera instauré pour renforcer l’esprit patriotique, construire les infrastructures et donner une formation pratique et la discipline aux jeunes sortis prématurément du système scolaire. Un « Fonds jeunes » sera mis en place pour soutenir l’entreprenariat des jeunes.
Au niveau de l’économie, notre pays retrouvera pleinement sa place. C’est le champ le plus difficile, compte tenu des enjeux géostratégiques. Nous devons nous remettre au travail et convaincre nos partenaires qu’une solution gagnant-gagnant constitue le meilleur gage de stabilité et de prospérité mutuelle. Nous devons refaire de notre pays l’une des meilleures destinations pour l’investissement en Afrique, travailler avec des investisseurs étrangers, donner des bases plus solides à notre économie, faire émerger une race conquérante de capitaines d’industrie camerounais et surtout intégrer la majorité silencieuse du secteur informel et des PME-PMI dans la nouvelle dynamique. Nous avons la chance de faire partie de la CEMAC et d’avoir à nos portes la plus grande économie d’Afrique. Le Cameroun saura en tirer profit tout en étant plus méthodique et dynamique sur  les marchés mondiaux. 
Ouf ! Tout un programme, mais comment le mettre en vigueur ?
Ce n’est pas compliqué. Les idées que j’avance font partie du métier que j’exerce au quotidien. Ce que je conseille aux autres Gouvernements, je peux le faire pour mon pays avec passion. Car je ne peux pas accepter que mon pays soit derrière des pays comparables. Je ne suis qu’un petit maillon dans un océan de talents dont dispose notre pays. Sur le plan politique, il faut convaincre les Camerounais qu’ils méritent une vie meilleure pour eux et leurs familles et qu’ils doivent s’engager pour cela. 
Il faut créer des coalitions gagnantes pour une alternance capable d’impulser un nouveau départ, celui du développement et du bien-être des Camerounais. Le plus grand défi, c’est au niveau du changement des mentalités pour remettre les camerounais sur le chemin du progrès, de la discipline, du respect du bien public, de la citoyenneté et de la méritocratie. Notre pays doit remettre les jeunes et les femmes au cœur des changements de société. Il doit également anticiper et mieux cerner les vents qui soufflent autour de nous, dans le golfe de Guinée et le reste du monde. 
* Eugene Nyambal est un économiste et auteur de « Afrique : Les Voies de la Prospérité », Editions de l’Harmattan
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