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LETTRE AU ROI DU CAMEROUN : «MAJESTÉ, LIBÈRE MA LIBIDO » par Florian Ngimbis

Tu vas sûrement te demander «ce petit il veut même quoi avec ses lettres là ». Majesté, quand j’écris aux puissants, c’est parce que je veux leur parler mais j’en suis incapable car ils sont bien trop inaccessibles pour les petites gens comme moi. Tu sais que j’aime les lianes. Avec la Castel, c’est l’une des dernières choses qui vaille encore le coup dans ce Yaoundé, mais les femmes aiment les hommes puissants et moi, la gestion de ce pays me rend peu à peu impuissant.
Tu sais, à Yaoundé on pratique l’oecuménisme sexuel, one people, one love, one sex. Pourquoi trier, quand elles sont si belles les Eve de l’humanité. Mais cher Roi, si ça passe encore avec les camerounaises je me rends compte qu’avec les étrangères, les autres, ça devient compliqué d’assurer. Assurer face à une liane locale est déjà un impératif, mais avec une liane étrangère c’est pour moi une question de fierté nationale, qui malheureusement tourne trop souvent en ma défaveur, donc celle de tout un peuple.

Petit exemple Majesté : tu essayes de l’appeler, mais c’est un mardi, le jour maudit où les deux vampires qui nous servent de société de téléphonie organisent leur Sassayé, leur Njoh machin, des promos débiles qui cachent mal les prix surélevés et la déplorable qualité du plateau technique en matière de télécommunications dans ce pays. Conséquence : réseau saturé.
Et puis tu te dis, tiens il y a Internet, il y a Skype, je vais parler à la liane en direct, mais tu te réveilles vite. Chez Camtel, quand il y a Internet c’est suffisant. Pour la stabilité du débit, faut repasser. Coupures, voix robotique, si tu n’es pas content, tu peux aller te détendre lors de leurs spectacles comme le dernier en date, payé j’en ai peur par le contribuable. Singuila… Comme si Petit Pays était mort Majesté…
Ta liane, tu lui parle enfin au milieu des coupures et vous convenez d’un rendez-vous. Et après une soirée arrosée (au moins la Castel ne fera jamais défaut dans ce pays) départ annoncé, sauf qu’il a plu, oh mon Roi! Rue menant chez toi. Pas d’éclairage public -pas de lumière dedans et on en met dehors ? La go serre son  sac comme si c’est toi qui allait l’arracher. Florian tu es sûr que tu veux pas qu’on aille chez moi ? Tu ris jaune, à cause du patinage artistique dans la boue collante, parce que tu es énervé. Non ! On continue ! Bah !
On fait comme tu veux. C’est le Cam’roun, c’est ton pays. Elle le dit « gentiment », pour détendre l’atmosphère. Tu serres les dents et surtout, tu stresses. Chez toi. Tu appuies l’interrupteur, en stressant. Ouf ! Il y a l’électricité. Le câble est coupé, il n’y a pas de câble parce qu’il a plu. Les américains d’AES ont pitié de toi, ils te laissent te déshabiller puis contempler la sculpturalité de la liane et puis tchak ! Le noir complet.
Bah ! C’est le Cam’roun, c’est ton pays. Tu stresses. Tu n’oses même pas proposer une douche. Tu sais que tourner le pommeau de ta douche est plus stressant que la roulette russe et surtout il y a le fameux théorème: « il n’y a pas d’eau parce qu’il n’y a pas d’électricité». Tu passes en mode vision nocturne, et tu essayes de justifier le seul cliché sur le camerounais qui soit vrai (pour moi hein ?) mais là encore tu as accumulé tellement de stress et de frustration que dans l’obscurité de la pièce au lieu de deviner les formes d’une liane, tu imagines les marocains de La camerounaise des eaux dînant autour d’un feu noir, entretenu par les américains de AES, avec les camerounais de Camtel tapant dans leurs mains pour encourager un Singuila chantant «♪ ♪ Bah c’est le Cam’roun, c’est ton pays ♪ ♪ » avec son faux air de crooner des banlieues. 
Du coup mon roi, j’ai honte de l’avouer, mais je suis victime de ma phobie : l’effet spaghetti cuit. Oh sacrilège Seigneur ! Le vert rouge jaune en berne, l’étoile jaune avachie, ton serviteur incapable de redorer un blason dont on se demande s’il a été doré un jour. Et ensuite la phrase qui tue et te donne des insomnies : bah ! C’est pas grave… Renonciation, européanisation de notre on va faire comment ?
Mon roi, dans ces moments-là, mes nuits d’habitude ensoleillées sont de longs monologues intérieurs. Des monologues dans l’obscurité, dans le silence, sans le tap… tap… rassurant d’un robinet qui fuit. Oui dans ces moments-là je pense à ce que je ne suis pas arrivé à faire à la liane mais surtout à ce que tes amis et toi avez fait de ce pays. Je suis comme toi Majesté, je voudrais rester au sommet pendant longtemps, mais à ce rythme, je vais vite déchanter. Je n’aime pas la défaite, peu importe le type de match. 
Tu n’es certes pas responsable de tous les errements de ta Cour, mais bon, je ne vais pas non plus céder au syndrome Ateba Eyene : tout le monde est coupable, sauf le Roi. Je ne veux pas de poste, pas de soutien, pas d’aide, je ne veux même pas intégrer le parti-Etat, le Rassemblement Des Prédateurs Camerounais, je veux juste que tu frappes du poing, de la canne ou je ne sais quoi sur la table ou la tête de quelqu’un et que ce foutu se remette à marcher comme un Etat gouverné !
Je ne veux pas le sassayé, je ne veux pas le njoo’h, je ne veux pas le gratuit, je veux juste que les services qu’on retrouve dans un pays normal soient opérationnels et je payerai ! C’est mon pays, ce sont ses tares, mais tu en es aussi le Roi et il faut me dire. Me dire si je dois aller moi-même creuser un puits pour avoir de l’eau, lancer ma compagnie d’électricité, mon propre réseau téléphonique, ma propre route. Dans ce cas, à quoi tu sers ? Hein ? Je demande seulement, te fâche surtout pas.
Le pire hein Majesté, c’est qu’avant ça m’arrivait seulement avec des lianes d’outremer, tu sais, celles qui sont en mode safari chez nous. Mais même les lianes d’à côté ici, les africaines commencent à me sortir la phrase maudite. Oui, pendant que tu on dort, ça avance ailleurs, et cet ailleurs n’est pas toujours celui qu’on croit.
Sauve, mes nuits, sauve ma libido, mes journées sont déjà assez compliquées comme cela. Pourquoi je te dis ça ? Bah c’est le Cam’roun, c’est ton pays aussi non ? Peace bien aimé Roi-Lion! Ton éternel sujet, Florian Ngimbis.
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