Au siège de la Croix-Rouge du Cameroun où s’est tenue l’assemblée générale de l’Ordre des avocats, on lui donnait déjà du « monsieur le bâtonnier », bien avant même le début des travaux. Me Ngnie Kamga passait, faisant mine de ne même pas avoir entendu. Aujourd’hui, il acquiesce sans ambages avec assurance, le regard fixe et la poignée de main ferme. Puisqu’il l’est désormais. Ceux de ses proches qui continuent à l’appeler « Jackson » sont repris. « C’est monsieur le bâtonnier », leur rappelle-t-on. Vous avez dit bâtonnier ? La consécration dans la carrière d’un avocat. Signe de reconnaissance de ses pairs. Et, en 1992, un an seulement après son inscription au grand tableau de l’ordre, Ben Muna, ancien bâtonnier, le lui prédisait déjà. « tu seras bâtonnier », avait-il dit à l’endroit de Ngnie Kamga. 23 ans plus tard, il l’est devenu. Non sans avoir rongé son frein. En 2012, Ngnie Kamga présente pour la première fois sa candidature au bâtonnat. L’élection se déroule à Bamenda.
Ngnie Kamga est le challenger de Francis Sama,le bâtonnier sortant. L’assemblée générale élective qui se déroule au Congress hall intervient après une longue et vive crise qui a opposé au sein du barreau le bâtonnier d’alors Eta Besong et le président de l’assemblée générale, Hyppolite Meli. Dans ce contexte, les travaux de Bamenda qui peinent à démarrer sont tendus. L’on finira par passer quatre jours d’élections. Me Sama est dans son fief. Ngnie Kamga qui n’avait visiblement pas pris toute l’ampleur de la situation est battu avec un court écart d’une vingtaine de voix. Il est tout de même conseiller de l’ordre et siège pendant deux ans aux côtés de son challenger d’hier, comme chargé de mission. Dans ce conseillà, Ngnie Kamga semble s’ennuyer. Ses relations avec le bâtonnier ne sont pas pour le mieux. En plein exercice, il ne manque pas de critiquer la gestion de Me Sama.
Meeting de Douala
Ngnie Kamga finit par se sentir très peu concerné des choses de conseil là. On le voit très peu. Il a regardé le temps passer. Mais l’épisode de Bamenda est resté en travers de sa gorge. De même, sa volonté de prendre la tête du barreau a grandi et a été confortée. Ngnie Kamga ne plie donc pas. Les leçons de Bamenda tirées, il se rode. Deux ans passent. Puis une troisième. Voici venu la fin du mandat du bâtonnier Sama. Ngnie Kamga qui a eu le temps de préparer sa relance, se présente à nouveau. Cette fois-ci, il apparait un peu mieux organisé qu’en 2012. Ngnie Kamga fait 13 meetings sur l’ensemble du territoire. Autour de lui, se dresse une forte équipe de campagne dirigée par Me Albert Eloundou. Au fil des jours la machine est huilée. Ngnie Kamga poursuit son périple. Il grimpe dans les sondages. Des cinq candidats, son nom est cité le plus grand nombre de fois. Il gagne en « notoriété top of mind », comme disent les spécialistes du marketing. Les plus grandes alliances se nouent autour de lui.
Le jour de son dernier meeting de campagne à Douala où il est établi, la salle du Castel hall s’avère trop étroite pour accueillir les avocats. Certains parmi eux ont fait le déplacement de Yaoundé, de Bafoussam, de Buea. Difficile d’accéder en voiture à Bali ou à Bonapriso. La route est bloquée. Ce jour-là, Ngnie Kamga est adoubé par Me Yondo Mandengue Black, Me Mongue Din, Me Patrice Monthe, pour ne citer que ces trois figures majeures du barreau du Cameroun. Ngnie Kamga remet ça la veille de l’élection à Yaoundé au restaurant le Boukarou. Le meeting est présidé par Me Patrice Monthe, ancien bâtonnier, soutien de Ngnie Kamga. Le jour-J, le dispositif longtemps préparé est mis en place et exécuté par ses hommes à la Croix-Rouge où se déroulent les travaux.
Frayeur
On observe de temps à autre quelques moments d’énervement chez Ngnie Kamga. On lit de l’anxiété sur son visage. Ses hommes sont pourtant sereins. Dans chacun des 20 bureaux de vote mis en place, ils veillent au grain. La machine est lancée. Après le désistement de Me Sama, Me Tchakounte Patié devient plus que jamais le principal challenger de Ngnie Kamga. Des bruits circulent toute la nuit de samedi à dimanche que Tchakounte Patié est en train de faire alliance avec Me Abdoul Bagui, lui aussi sérieux candidat au bâtonnat. A ce moment-là, on a vu le camp de Ngnie Kamga véritablement inquiet. Un moment de doute a traversé l’équipe. Allé se reposer un court instant à son hôtel, Ngnie Kamga rappelé manu militari par ses hommes a été contraint de revenir aussitôt sur les lieux des travaux de l’Ag. En fin d’après-midi de dimanche, les nouveaux membres du conseil de l’ordre sont connus. Ngnie Kamga recueille 737 voix. Il a un écart de 70 voix avec son principal challenger, Tchakounte Patie qui le suit avec 667 voix. Me Philippe Memong, l’un des principaux alliés de Ngnie Kamga a recueilli 810 voix à cette élection des conseillers de l’ordre. Dès lors, Ngnie Kamga voit se dessiner la victoire.
Pour l’élection au bâtonnat, il sait qu’il lui suffit de maintenir cet écart pour passer. Les hommes de son équipe sont au taquet. Ngnie Kamga fait mieux. Il finit par battre son challenger avec un écart de 150 voix. Déclaré vainqueur, le nouveau bâtonnier n’exprime pas d’émotion particulière, si ce n’est son habituel discret sourire. Frimeur, il se contient. Il avouera : « à ce moment- là je suis traversé par beaucoup plus de frayeur que de joie. » De nature froid. Souvent taxé d’ « hautain », Ngnie Kamga appréhende la fonction. Il sait qu’il n’a pas droit à l’erreur. Et qu’il sera scrupuleusement suivi.
Douala Moutome
Ses états de service parlent pour lui. A 34 ans, alors qu’il n’a que tout juste cinq ans d’exercice professionnel, le minimum requis pour être candidat à une élection du barreau, il devient l’un des plus jeunes membres du conseil de l’ordre dans l’histoire de ce barreau. Ngnié Kamga officie ensuite comme secrétaire de l’ordre sous le bâtonnier Akere Muna et sous le bâtonnier Ebanga Ewodo. Très tôt déjà, il est pris dans les bonnes grâces de ses confrères aînés. En 1990, lors de l’affaire Yondo Black, Ngnie Kamga, encore avocat stagiaire, prend activement part, aux côtés de Me Marthe Masso, Me Mahop, Me Edmond Loe, Me Mongue Din, Me Patrice Monthe, pour ne citer que ceux-ci, aux mouvements de protestation contre l’arrestation de leur ancien bâtonnier.
Aussi, il avait été associé aux réunions de préparation de la défense de Me Yondo Black qui a été traduit devant le Tribunal militaire de Yaoundé. Après un stage effectué au cabinet de Me Agbor Nkongho, il prête serment le 31 octobre 1991 devant le président de la Cour suprême Alexis Dipanda Mouelle, comme il était de coutume à cette époque-là. Un an après, Me Patrice Monthe, devenu bâtonnier, l’associe à la mise en place de la « Maison de l’avocat » à Douala. Repéré par Me Douala Moutome (décédé), il est recruté dans son cabinet, un mois avant que celui-ci ne soit nommé ministre de la Justice. Ngnie Kamga travaille avec Me Gérard Volber (un Français) associé de Douala Moutome parti au gouvernement et Me Chantal Kontchou. Le cabinet fonctionne en Société civile professionnelle (Scp). Au bout de deux ans, Me Moutome et Me Volber décident d’élargir l’actionnariat de la Scp. A cette période-là, Me Kontchou ne se trouvait plus dans ce cabinet.
Ils doivent donc passer à trois associés. Le seuil de la part réclamée par Ngnie Kamga est jugé élevé par Douala Moutome qui s’y oppose. Mais c’est à prendre ou à laisser. Ngnie Kamga ne transige pas et décide de quitter le cabinet. Il s’en va créer une autre Scp, puis se met à son propre compte. Ngnie Kamga a acquis de l’expérience. Il est sollicité pour donner des formations à des postulants et à de jeunes avocats. Parmi les dossiers chauds de la République traduits au pénal, Ngnie Kamga défend en 2009 le commandant Emile Joël Bamkoui (aujourd’hui colonel) dans l’affaire éponyme. L’officier supérieur de l’armée qui avait abattu l’inspecteur de police Hervé Njifon Mapouro qu’il a surpris en flagrant délit avec son épouse dans une chambre de sa résidence avait été renvoyé en jugement devant le Tribunal militaire de Yaoundé. Reconnu coupable du meurtre du policier, il n’écope que 18 mois de prison ferme. Ce qui avait été perçu à l’époque comme une victoire de la défense du commandant Bamkoui.
Désaccord
Me Ngnie Kamga est par ailleurs le premier avocat qu’Yves Michel Fotso constitue lorsque ses ennuis judicaires commencent avec les accusations de détournement de deniers publics dont il faisait l’objet dans l’affaire de l’avion présidentiel. Mais Ngnie Kamga n’assure la défense de l’homme d’affaires que dans la phase de l’information judiciaire. Ainsi la collaboration entre l’avocat et le client ne mettra pas long,du fait des divergences stratégiques apparues dans la gestion de la défense de Fotso, apprend-on. Les deux hommes sont restés jusqu’à ce jour en désaccord. En effet, quelques jours avant l’élection au barreau, en 2012, Ngnie Kamga est accusé dans certains journaux de la place d’escroquerie et d’abus de confiance dans une affaire d’honoraires.
Le plaignant s’appelle Yves Michel Fotso. Celui-ci prendra toute une tribune dans l’hebdomadaire l’Oeil du Sahel, à la veille de l’élection, pour appeler les avocats à ne pas voter Ngnie Kamga. Les attaques contre « le futur probable bâtonnier » sont virulentes. Ngnie Kamga se contente de faire une mise au point dans le forum des avocats. Ceux-ci s’indignent presque de ce que quelqu’un qui n’est pas de leur corporation se permette de leur donner des consignes de vote. La campagne de dénigrement semble faire l’effet contraire. Mais le conflit entre Ngnie Kamga et son ancien beau-frère (Ngnie Kamga avait été marié en premières noces avec l’une des jeunes soeurs d’Yves Michel Fotso) va se poursuivre devant les tribunaux où chaque partie a déposé des plaintes. Ce qui n’éloigne pas le nouveau bâtonnier de sa nouvelle mission : « changer le fonctionnement monarchique de l’ordre, rendre transparente la gestion des fonds de l’ordre, accroitre le champ d’activités de l’avocat, lui garantir sa juste rémunération, installer le barreau à la place forte qu’il mérite dans la société civile, redevenir la sentinelle des libertés fondamentales ».
Journaliste
Ngnie Kamaga, un mètre 97, est résolument tourné à donner un autre visage au barreau. Il n’avait pourtant pas l’ambition d’engager une carrière d’avocat après ses études. Ancien élève du lycée Leclerc de Yaoundé et du Ces de Bafoussam, suite à des soucis de santé, il quitte le Cameroun en classe de seconde pour la France où il passe son baccalauréat. Il engage une formation en droit à l’université de Lilles où il obtient sa licence et sa maitrise. A ce moment, il ambitionne d’être diplomate ou journaliste. C’est alors qu’il prend une inscription en sciences politiques à l’université de Bordeaux où il obtient un Dea. Toutefois, il n’achève pas son doctorat. Ngnie Kamga qui partageait son temps en France entre ses études et le basketball qu’il pratiquait au niveau professionnel, est pressé par son père de retourner au pays, craintif de voir son fils terminer basketteur. C’est de retour au pays que la profession d’avocat renait en lui après une rencontre avec Ben Muna.
Ngnie Kamga subit des tests d’entrée au barreau, et plus tard, il est reçu comme major au Certificat d’aptitude à la profession d’avocat. L’avocature était donc sa vocation et il ne s’en est plus jamais séparé. Bien que retourné au pays, Ngnie Kamga n’a jamais eu un rapport particulier à la tradition bamiléké dont il est issu et dont il se réclame peu, malgré son accent chantant. Et ce, en dépit du fait qu’il est le troisième enfant de l’ancien chef supérieur de Bandjoun. A la mort de celuici, il s’en éloigne davantage, estimant que les volontés du roi décédé n’ont pas été respectées. Il demeure toutefois un prince Bandjoun et porte pleinement le titre de Kuipo. Bon vivant, collectionneur de vins bordelais, Me Ngnie Kamga a plus que jamais à coeur de reconstruire un barreau fort. A 53 ans.
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