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FIDEL CASTRO, UNE PROPHÉTIE PAR IRONIE DE L’HISTOIRE ? LE QUESTIONNEMENT DU CRESPOL par Thierry AMOUGOU

"The US will come to talk to us when they have a black president and the world has a Latin American Pope" Fidel castro.La phrase ci-dessous est-elle vraiment une prophétie ? Est-elle l’œuvre d’un visionnaire par volonté, par hasard, par ironie de l’histoire ou par troncature de la pensée réelle de Castro par la realpolitik ? Quel est le sort des Noirs à Cuba ?
* Une prophétie en 2015 peut cacher une autre réalité en 1973
“The US will come to talk to us when they have a black president and the world has a Latin American Pope”.
Considérons que cette phrase de Fidel Castro soit une prophétie réalisée. Pourquoi pas. Fidel Castro en est bien capable comme plusieurs autres visionnaires avant lui. Et puis, lorsqu’on se souvient des égarements sartriens aux premières heures de la révolution castriste, nous ne serons pas les premiers à nous tromper au sujet de Fidel.

Néanmoins, sans négliger l’œuvre historique de Fidel Castro qui, à 27 ans–âge où plusieurs d’entre nous n’ont encore aucun projet politique –, a libéré CUBA de la mafia italo-américaine, il faut dire qu’en 1973, date de cette déclaration, le révolutionnaire cubain ne lui donne pas le sens que nous lui donnons aujourd’hui. Il s’agit, initialement, d’une critique marxiste-léniniste de la société américaine et italienne, origines de la mafia du jeu, de la prostitution et de la drogue qui gangrenait CUBA et assignait ses populations au statut de plèbe.
Parler d’un président noir en 1973 aux USA alors que ce pays sortait difficilement de la période de ségrégation raciale et que les droits civiques des Noirs se matérialisaient à peine, était pour Fidel Castro une façon de se moquer de la démocratie américaine autant que de l’Eglise catholique dont le Pape était à cette période une propriété privée italienne. Cette phrase de Castro semble donc aujourd’hui une prophétie réalisée par ironie de l’histoire car le leader maximo ne la prononça pas pour signifier que le temps où CUBA et les USA auront de bons rapports diplomatiques dépend de la venue réelle d’un Président noir à la tête des Etats-Unis et d’un pape sud-américain au Vatican, mais pour dire que cela ne sera jamais le cas puisqu’un président noir au Etats-Unis et un sud-américain pape de l’Eglise catholique sont des choses impossibles pour l’impérialisme capitaliste et chrétien, ennemis du marxisme révolutionnaire et de son projet d’émancipation de tous les hommes. C’était une façon de dire que cela ne sera possible que « quand la poule aura des dents », mieux, que les impérialistes ne mériteront la confiance de Cuba qu’en faisant ce qui est contraire à leurs aspirations profondes.
Par hasard ou par ironie du sort, Fidel Castro a eu une santé de fer et a connu une grande longévité au pouvoir. Ce qu’il pensait impossible alors fraîchement installé au pouvoir, s’est effectivement réalisé de son vivant. Le monde a bougé un tout petit peu car le capitalisme a fait des dégâts et les conservatismes, malgré leurs forces, ont connu quelques fissures qui ont réenchanté le rêve américain via l’élection de Barack Obama puis l’espérance chrétienne via l’élection de François, pape jésuite-altermondialiste à la tête de l’Eglise catholique et de son Etat. La plus grande puissance du monde et le Vatican ont donc eux-mêmes opéré leur révolution interne, chose qui donne aujourd’hui tort à Fidel Castro sur le capitalisme et la démocratie, ou raison si nous considérons sa phrase comme un espoir de la révolution castriste.
Qui parle d’histoire parle aussi du hasard des conjonctures. Personne au monde en 1973, y compris Fidel Castro lui-même, ne pouvait un seul instant imaginer que le monde aura en 2015 à la fois un pape latino-américain et un Noir président des États-Unis. Nul homme, même pas Nostradamus, n’aurait pu dire que cette situation sera possible grâce à une première démission dans l’histoire du Christianisme d’un pape allemand en exercice. Sans oser penser comme Hegel suivant lequel une conscience supérieure fait l’histoire du monde et se charge d’en assurer la justice et la répartition des rôles aux acteurs, il faut dire que l’histoire du monde est le lieu où, parfois, des choses non programmées par les milieux de pouvoir et les grands acteurs dominants se réalisent. Jean-Paul II et Reagan ont bien fait tomber l’URSS et le rideau de fer sans que le Vatican et les USA se soient au préalable entendus pour avoir un Président républicain et un pape anti-communiste, c’est-à-dire libéral à l’opposé du pape François. Jean-Paul II doit lui-même son élection à la neutralisation de deux camps opposés en soutien à deux cardinaux italiens favoris au poste de pape. Il a, comme Reagan, été victime d’une tentative d’assassinat. Autant de choses que seule l’histoire elle-même s’arrange à réaliser et que nul ne peut prévoir par avance car Jean-Paul II aurait été tué que Ratzinger n’aurait pas été pape et jamais François.
* Le hasard de l’histoire et les contradictions castristes au sujet des Noirs
Un Président américain noir et un pape latino-américain, deux réalités qui rappellent au monde, non seulement qu’être noir et président aux USA reste une exception dans la vie d’un homme et d’un politique américain, mais aussi qu’un pape du Tiers-monde peut utiliser son appartenance à l’histoire des continents subalternes du capitalisme pour faire de son travail une mission de libération du monde des griffes du capitalisme prédateur. D’où le fait que la phrase de Castro, quoiqu’avancée en 1973 pour autre chose, souligne encore aujourd’hui l’exception d’être Noir aux Etats-Unis au regard des brimades et injustices que cette population subies toujours de la police américaine ou des néo adeptes du ku klux klan. Ce n’est pas ne phrase qui veut dire que le Noir est porteur par essence d’une bonté universelle. Elle traduit aujourd’hui l’impossible de l’impérialisme américain en 1973, à savoir l’émancipation de l’homme dans sa diversité.
Fidel Castro a-t-il lui-même incarné cette émancipation de l’humain pendant son pouvoir ? A-t-il réalisé le rêve libérateur de sa propre révolution ? Rien n’est plus incertain car la révolution cubaine, en omettant de devenir une utopie critique en lieu et place de sa congélation en fin de l’histoire, s’est transformée en une atroce dictature. Les Viva Fidel sont devenus le slogan d’un régime qui, complètement légitime dans son combat initial, s’est abîmé dans un culte de la personnalité propre au régime totalitaire les plus durs. La preuve, il a fait de son pays une dynastie où le pouvoir passe de frère en frère dans la même famille. Alors que la révolution cubaine combattait le conservatisme capitaliste Fidel Castro a installé de son vivant un conservatisme dominateur du pouvoir politique à Cuba.
Par ailleurs, en dehors des sports, de la musique et des arts, la population noire cubaine n’a pas connu une grande émancipation sous Fidel Castro. Ce sont les cubains blancs qui sont au pouvoir et occupent les postes clé quand Cubains Noirs sont très souvent confinés dans des postes subalternes ou périphériques au pouvoir exécutif. L’histoire, de façon ironique, montre aussi là qu’avec un président noir aux USA, l’impérialisme capitaliste américain a fait plus pour les Noirs largement plus que Castro et sa révolution marxiste-léniniste. Castro et son régime ont été plus racistes envers les Cubains Noirs depuis la révolution cubaine que l’impérialisme de l’oncle Sam depuis Martin Luther King (suivre le lien pour preuve contemporaine de cette réalité). http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2015/07/22/des-footballeurs-cubains-desertent-leur-equipe-en-pleine-gold-cup-americaine/
* Le mérite d’Obama et du pape François est à souligner
La phrase de Castro peut laisser croire que le réchauffement des relations entre CUBA et les USA est le résultat de la présence d’un Président Américain Noir et d’un pape Latino. Ce serait une erreur de la lire ainsi car cela entraînerait une analyse essentialiste des Noirs et de Latinos qui, ainsi, seraient naturellement porteurs de qualités de concorde, de négociation et de compromis. Cela enlèverait tout leur mérite aux hommes spécifiques que sont Barack Obama et le Pape François. Ils ont mené de mains de maîtres cet épisode de la diplomatie et de la géopolitique mondiales parce qu’ils sont les hommes qu’ils sont et non parce qu’ils sont Noir et Latino. Malgré le fait qu’il soit Noir, Barack Obama est un Président américain qui défend les intérêts de son pays. Et le pape, quoique Latino, continue tout simplement les combats qui ont été les siens en tant que jésuite appelé à libérer les hommes des situations de tutelle. Il faut donc dire merci à ces hommes-là parce qu’ils sont ce qu’ils sont et non parce qu’ils sont respectivement Noir et Latino. Être Noir et être Latino seraient synonymes d’humanisme, d’entente et de concorde que l’Afrique aurait aujourd’hui un autre visage après plus de cinquante ans d’indépendance, et l’Amérique Latine moins de victimes de ses atroces dictatures passées. Obama rencontre une opposition farouche sur le plan interne mais il fait une réforme de l’assurance santé, revoit contre Israël les rapports avec l’Iran, renoue avec Cuba et tend la main aux Musulmans. Le Pape François essuie une opposition farouche au sein de la curie romaine mais il réforme la banque du Vatican, ne condamne pas les homosexuels, poursuit sans états d’âme les prêtres pédophiles, ne condamne pas les divorcés, juge le célibat des prêtes non fondamentales et combat le capitalisme prédateur des hommes et de l’environnement.
La puissance et la capacité de séduction du capitalisme
Ce que cache enfin cette phrase de Castro est que c’est finalement la victoire du capitalisme sur sa révolution qu’Obama et le Pape sont en train d’entériner car le leader maximo a fait de son pays un musée prisé par le touriste occidental se plaisant à visiter un monde perdu à jamais chez lui. Après plus de soixante années de résistance sans concession au capitalisme, l’âge a eu raison de Castro et, Raoul, son frère et successeur désigné, a déjà entamé des réformes de nature libérale. L’activité commerciale privée est désormais autorisée ainsi qu’avoir des ordinateurs et des téléphones portables, choses qui étaient strictement interdites sous Castro.
Barack Obama avait déjà assoupli les conditions de transferts d’argents entre les deux pays et la levée de l’embargo, si elle a lieu, risque de voir le grand capital s’abattre sur Cuba où l’investissement sera d’autant plus rentable que l’accumulation du capital y faible et tout à faire dans de nombreux domaines. Là se trouve un autre échec de la révolution castriste car, en dehors du sport, de la médecine et des arts, la production des richesses n’a pas été assurée par la révolution. Les médecins sont là mais les hôpitaux n’ont pas de médicaments. La contrainte de l’embargo a certes développé une grande ingéniosité chez les Cubains qui circulent encore dans les voitures rafistolées des années cinquante, mais la révolution n’a pas fabriqué une voiture pour les Cubains. Qui plus est, le rêve américain et du monde capitaliste est resté intact chez les Cubains comme en témoignent le grand nombre de Cubains immigrés aux USA ou emprisonnés pour l’avoir tenté. Encore une fois le capitaliste démontre au monde son extraordinaire pouvoir de séduction et de capture des résistances à l’usure du temps. Par conséquent, si le capitalisme n’est pas le meilleur système pour l’émancipation de l’homme, la gauche totalitaire ne peut se targuer jusqu’ici d’avoir fait mieux que lui.
Thierry AMOUGOU, Fondateur et Animateur du CRESPOL, Cercle de Réflexions Economiques, Sociales et Politiques. cercle_crespol@uclouvain.be
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