L’ « opération épervier « continue de faire des ravages et
sa plus récente victime n’est personne d’autre que le professeur Gervais Mendo
Ze, l’homme de lettres et de culture au talent indéniable, dont le record de
longévité à la tête de la CRTV, la chaine nationale de radio et de télévision
du Cameroun, lui a valu une certaine célébrité. Il vient allonger la liste d’anciens
collaborateurs proches ou lointains du président Paul Biya qui croupissent désormais
dans les geôles, accusés pour la plupart, sinon tous, de détournements de fonds
publics.
Cette opération, diversement interprétée, mérite une
attention particulière au regard des enjeux de la transition qui se dessine au
Cameroun. Si certains saluent en elle un effort louable d’assainissement du
management public de la part du régime Biya, d’autres n’y voient qu’une machine
de règlement de comptes qui risque d’enfermer le Cameroun dans un cycle de vengeance
potentiellement déstabilisateur. C’est un paramètre important de la transition
politique qui s’annonce au Cameroun et qui justifie la question de savoir si le
prochain président du Cameroun ne viendra pas de Kondengui.
Inoni, Marafa, Mebara, Abah Abah, etc., voilà des grands
noms du régime Biya dont l’incarcération de prime à bord sembler créditer l’opération
épervier d’un certain sérieux. Les plus optimistes semblent y voir l’indicateur
d’une lutte sans complaisance contre la corruption et la mauvaise gestion des
biens publics. Biya semble décidé à faire le ménage dans son camp avant de
passer la main à son successeur à la tête de la République. Le tout dernier
rapport 2013 de la Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés
(CNDHL) n’a pas manqué de délivrer un satisfecit aux acteurs de cette opération
en saluant sa contribution à la promotion de la bonne gouvernance. Mais cette
lecture n’est pas partagée par tous !
Les plus sceptiques ne voient dans l’opération épervier qu’un
système mis sur pied par le régime Biya pour broyer les anciens collaborateurs
devenus indésirables. « Ils ont volé, oui, mais plus que qui ? « s’interrogent-ils
? Pour ne prendre que le cas du Pr Gervais Mendo Ze, on se demande bien
pourquoi il est resté si longtemps à la CRTV et pourquoi sa gestion de la chose
publique n’était pas contrôlée alors qu’il était aux affaire. Et même si l’on
accordait le bénéfice du doute au régime actuel dans sa volonté de lutter
contre la corruption et la mauvaise gestion du bien public, comment s’assurer
que les victimes de l’opération épervier bénéficient d’un procès équitable dans
un contexte où le système judiciaire reste inféodé à l’appareil exécutif ?
On voit de plus en plus certains mourir en prison sans avoir
eu la possibilité de se défendre dans le cadre d’un procès équitable. Ce n’est
pas normal dans un Etat de droit. Tout cela conforte dans leurs positions ceux
qui pensent que l’opération épervier a été déclenchée pour éliminer tous ceux
qui ont manifesté d’une manière d’une autre l’intention de précipiter le départ
de Biya et d’occuper l’espace.
On a vu récemment au Burkina Faso d’anciens collaborateurs proches
de Blaise Compaoré, lassés d’attendre leur tour, quitter subitement le navire
présidentiel pour grossir les rangs d’une opposition qui s’est très vite réorganisée
pour mettre fin à son long régime. L’opération épervier est certainement l’indicateur
d’une fissure profonde du camp Biya mais habilement contenue pour que l’édifice
désormais très fragile ne s’écroule immédiatement. N’oublions pas que chacun de
ces « éperviés « a ses soutiens dans l’administration qui n’attendent que le moment
favorable pour se manifester. Cette situation sera certainement un facteur
potentiel de déstabilisation dans les années à venir. Pourquoi ?
S’il
s’avère que les victimes de l’épervier ont beaucoup volé, et cela se chiffre généralement
en milliards, alors nous avons affaire à des barons friqués et humiliés qui n’hésiteront
pas à prendre leur revanche dès que l’occasion leur sera donnée. Il est évident
que Mr Biya, s’il ne meurt pas au pouvoir, cherchera à passer la main à un de
ses fidèles pour éviter de tomber entre les mains des ennemis fabriqués dans
son propre camp, les victimes de son opération épervier. Ce qui s’annonce
alors, c’est une bagarre généralisée entre les fidèles de Biya et ceux qui sont
aujourd’hui à Kondengui et qui en ont les moyens. S’ils ont eu par le passé l’intention
que certains leur prêtent de remplacer Biya, ils l’auront encore demain, si l’occasion
leur est donnée. Il faut donc craindre que ce scénario impliquant des
adversaires qui connaissent bien le système en place n’embarque le Cameroun
dans un cycle de déstabilisation qui nous fera regretter la « relative paix «
de Mr Biya.
La nouvelle opposition camerounaise, avec de nouvelles
figures, qui se met en place a donc du pain sur la planche. Les interdictions
de conférences ou dédicaces à Yaoundé, comme le Dr Christopher Fomunyoh en a
fait l’expérience récemment, revivant ainsi ce qu’on avait servi au prof Kamto
en son temps, annonce donc une transition qui sera loin d’être tranquille. Les
fidèles de Biya, terrorisés par l’éventualité d’une prise de pouvoir par leurs
victimes de l’épervier, se battront becs et ongles pour le conserver d’une manière
ou d’une autre. On voit donc se dessiner dans un proche avenir quatre tendances
ou forces politiques principales au Cameroun : celle de l’ancienne opposition
qui a presque épuisé ses cartouches, celle de la nouvelle opposition qui se met
en place et qui n’a pas encore montré de quoi elle est capable, celle des « éperviés
« de l’actuel régime, et celle du régime au pouvoir.
Difficile de prédire le rôle que l’armée, la société civile
et les populations joueront dans ce rapport de forces. L’avenir nous le dira.
Il ne faut donc pas absolument exclure que le prochain président du Cameroun
vienne de Kondengui ! Si l’on regarde encore du côte du Burkina, on ne peut ne
pas admirer le rôle stabilisateur joué par les autorités religieuses et
traditionnelles dans la transition en cours. Nous risquons d’en avoir besoin très
bientôt ! S’il y a une société civile au Cameroun, il est temps qu’elle s’organise
pour contribuer à une transition pacifique et démocratique.
Correspondance de : P.
Ludovic Lado
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire
Laissez nous un commentaire sur cet opinion.