Les frontières
de mon pays sont connues, certaines. Mais celles de ma camerounité, de mon
patriotisme floues, inconnues et incertaines. Le patriotisme en fait est un
concept qui ne s’applique que dans la défense du pays. être camerounais, c’est être
prêt à donner sa vie pour défendre l’honneur du pays, son intégrité, sa
souveraineté, son territoire. être camerounais c’est être prêt à payer de sa
vie pour défendre la patrie. Voilà qui est dit.
Aujourd’hui au
front contre des « djihadistes » devenus en peu de temps, des
ennemis contre lesquels officiellement, une guerre est déclarée, de jeunes
camerounais, des soldats, sont prêts au sacrifice de leur vie pour défendre ce
qu’il a de cher. Sur un plan purement technique, ils sont dans leur élément.
Ils ont été formés pour ça, et maîtrisent donc l’art de la guerre mieux que moi
qui recherche depuis l’art d’écrire. En plus, ils sont payés pour ça même si
une vie n’a pas de prix.
Aujourd’hui, un
« Je suis soldat camerounais » circule sur internet en même temps que
« je suis Charlie ». Mais je suis certain que ce dernier arrive en
premier dans la liste. Est-ce donc un simple suivisme, ou la flamme patriotique
est en train de brûler sa jeunesse ? Moi, je ne suis ni « soldat » ni « Charlie »,
bien que mon humanité m’oblige à ressentir une affliction profonde pour toute
les victimes, et notamment à condamner les coupables de ces actes meurtriers. D’un
côté comme de l’autre, c’est toujours l’islam qui est mis en cause. Mais l’islam
est-elle réellement une religion meurtrière ? Laissons chacun à son opinion en
reconnaissant toujours qu’ ‘‘ Allah akbar ‘‘. Est-ce la terminologie qui est
coupable ou ceux qui la prononcent comme on prononce le nom de ‘‘ Dieu en vain ‘‘
? Laissons aussi derrière nous cette digression et ne nous laissons pas
distraire par des mots quels qu’ils soient.
Dans un pays où
les frontières sociales sont largement dessinées par la pratique politique, où
la fracture politique laisse voir d’un côté une population clochardisée et de l’autre,
ceux qui vomissent le trop plein de leur bien-être dans des produits de luxe
sans importance pour eux ; dans un pays où certains doivent chercher journalièrement
leur pitance dans l’antre du diable, tandis que d’autres à Rome invite le pape à
déjeuner ; dans un pays où certains vivent comme des exilés tandis que d’autres
se paient chaque jour des exils ; dans un pays où certains croupissent dans des
maloca, ces maisons collectives d’Amérique du sud dans lesquelles on retrouve
une famille de la première à la troisième génération, tandis que d’autres ont
des châteaux avec 20 ou 30 chambres, il est bien difficile de nous
faire croire que la patrie existe.
Chaque personne ne se sent plus concernée par
les affaires de son pays qu’il se sent citoyen et non sujet. A certains on a
confié des affaires et à d’autres, rien à faire. Considérés comme des moins que
rien, ils ont été sommés à applaudir, à jubiler, à chanter à la gloire d’un
seul. Préoccupé par son pouvoir, il a réduit sa gouvernance à la mise en place
d’une pluralité de ministère tous dédiés à sa glorification. Réduits à leur
statut d’exécuteurs de sa politique, de démarcheurs auprès des populations,
comme des marionnettes ils ont bravé la pluie et la canicule, pour jouer leur rôle
d’entremetteurs, de porteurs de bonnes nouvelles à travers des fausses
nouvelles, visant toujours à faire garder l’espoir. Certains sur le chemin ont
pris le goût du pouvoir, et leurs ambitions démesurées au fond d’une cellule
ont trouvé leur mesure. Mais toujours, et chaque jour le peuple attendait à côté
son tour.
Et voici donc
que son tour est arrivé. A la guerre comme à la guerre. Chaque citoyen doit être
prêt à s’engager, sinon à manifester son élan de solidarité. Le discours est on
ne peut plus clair, raffiné, soutenu et défendu par des braves porte-paroles,
improvisés ou non. L’élite joue son rôle une fois de plus. La nation a besoin
de tous ces fils.
Nous voilà
debout aujourd’hui plus que jamais, mais notre patriotisme n’est pas le vôtre.
La vérité, c’est que notre patriotisme n’est que cet élan instinctif qui nous
oblige à nous défendre lorsque l’on se sent personnellement ou individuellement
en danger, ce que certains psychologues ont nommé l’instinct de survie. Ou
alors, notre patriotisme c’est cette réaction qui nous oblige à défendre les nôtres
lorsqu’on estime qu’ils sont en danger. Mais le patriotisme que beaucoup de
camerounais évoquent aujourd’hui n’a rien à voir avec l’amour d’un pays. L’exil
étant devenu le seul moyen d’espérer.
Nous ferons
cette guerre s’il le faut, pour nos familles, pour nos proches. Pour une nation
qui a existé bien avant les indépendances, et pendant les guerres qui nous ont
conduit jusqu’à l’indépendance. Nous ferons cette guerre s’il le faut, mais pas
pour défendre le Cameroun postcolonial, surtout le seul régime sous lequel je
suis né. Nous ferons cette guerre, parce que certains pensent la France
coupable et qu’ils refusent la récidive. Nous ferons cette guerre pour nous s’il
le faut, car nous savons que vos biens et vos familles se trouvent dans des
lieux hautement sécurisés à l’étranger.
Arnaud DJEMO
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